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    Boghari *, années 50...

    par Ahmed Bettahar 

     

    Boghari *, années 50...      par Ahmed Bettahar Parler de la ville, surtout de Boghari des années 50, quand le poids des années se fait sentir c'est être directement confronté à la typologie des lieux et à la trahison de la mémoire, heureusement que la nostalgie est toujours vivace...

    En 1954, nous avions sept ou huit ans, et comme le préscolaire n'était pas encore à la mode ‘pour les petits indigènes’ c'était 1’âge de s'inscrire à l’école, après avoir partiellement résolu le redoutable dilemme : fallait-il oui ou non envoyer nos enfants à l’école des « Kouffars » ? Conscience aiguë, non codifiée, de nos parents inalphabètes ? Prémisses des combats multiformes à venir ? La révolution était sur le point d'accoucher… Les petits indigènes étaient, déjà, montés au djebel de la connaissance et du savoir, Pour seules armes, ils avaient leurs guenilles, la faim qui les tenaillait la plupart du temps et une conscience diffuse et inexprimée d'un certain devoir à accomplir. Novembre 1954, la clameur était déjà sans la ville qui bénéficiait à double titre du privilège d'être aux premières : Importante garnison militaire française aux portes du désert et impressionnant vivier de toute une élite politique qui avait préparé l’avènement de novembre : Yahiaoui, Benameur, Trabelsi, Kayass, Nébih, Draouci, les frères Mérouane et tant d'autre qui ont offert à cette ville ses lettres de noblesse, Ils avaient mené le combat le plus difficile : Celui de l'indépendance, nous les petits écoliers nous commencions a mener le combat le plus important : Celui du savoir.

    Nous passions nos journées à l'école, nous côtoyons Vaccarisas le fils du barman, Dalbiez le fils du médecin, Françoise la fille du coiffeur, enfin tout le gratin de la coloniale qui avait élu domicile dans notre ville. Nos enseignants s'appelaient Bayou Mohamed, Benameur Yagoub, Yahiaoui Mokhtar, Monsieur et Madame Nunzi, Mademoiselle Cohen, Lubrano, Smadja, Gimertini. Ces enseignants avaient le cœur à l'ouvrage, et leur méthode pédagogique était le gros bâton: ce qui apparemment nous a aidé à apprendre beaucoup de choses. Monsieur Lubrano qui se distinguait dans le tas - Lorsque vous devez rendre compte au tableau devant toute la classe- allait carrément vérifier si vous n'aviez pas fait pipi dans votre pantalon. Alors là, les petits moudjahiddines préparaient leur attentat : Si c'est un petit colonialiste qui devait faire la preuve par 9 qu'il n'a pas fait pipi dans son pantalon, tout le monde sort ses jumelles longue portée et examine consciencieusement le derrière de l'ennemi, mais si c'est un petit moudjahid qui doit payer alors, d'un commun accord, tout le monde range ses jumelles. Bien sur, il y avait toujours quelques brebis galeuses qui enfreignaient les règles en pointant un demi-œil sur le paysage outrageant. A la récréation elles se faisaient gronder par le chef de Katiba du moment...après que nous ayons savouré, dans les moindres détails, le rapport fidèle et croustillant du contrevenant aux règles de la décence. Les cours pédagogiques, se faisaient également dans la douleur : La journée du mercredi à 13h 30, c'est la mort dans l'âme et la peur aux tripes, que nous nous dirigions vers la classe de fin d'études. Monsieur Nunzi, le regard en alerte, son arme nucléaire à la main, nous attendait pour sa dictée hebdomadaire. Nunzi travaillait on-line, comme sur Internet, son bâton à la main, il parcourait les rangées de sa classe dictant son texte avec application et faisant exploser ses bombes nucléaires de manière régulière : Vu, 1'enjeu pédagogique et stratégique d'une dictée sans faute, les tarifs pratiqués par Nunzi étaient les plus hauts du marché : un subjonctif raté c'est deux bosses sur la tête, une faute de vocabulaire c'est trois bosses, un participe passé qui traîne en route, c'est carrément un transfert à Reggane pour vous faire exploser avec la bombe nucléaire du gouvernement. Mes amis, je crois que c'est cette douce pédagogie qu'on doit appliquer à nos enfants qui ont déclaré une guerre, sans merci, à l'effort et au savoir.

    La classe de fin d'études de monsieur Nunzi était formée de petits moudjahiddines qui allaient passer, en fin d'année, le certificat d'études primaires, pour se retrouver - au mieux mieux - garçon de courses chez Madame Galli, petit écrivain public ou chômeur hautement instruit. Les petits colonialistes et les petits moudjahiddines, en âge régulier, étaient en cours moyen 1ère année. Ils seront appelés a passer le BEPC. En classe de fin d'études on retrouvait les Zaiback Khaled et Nourreddine qui adorait la lecture à tel point que, même durant les composions, il avait un livre ouvert sur ses genoux, en dessous de la table.,,Il y avait Changab Echeikh, prodige de la règle de trois, qui faisait preuve de générosité mathématique envers toute la classe lorsque l'extraction d'une racine carrée devenait problématique. Il y avait Derrag Missoum et Torchi Larbî qui entonnait de leurs belles voix * Mon beau sapin roi des forêts » à la veille des vacances de Noël. Il y avait Zitouni Mohamed, Daoud Naimi, Draouci Ahmed, Zoubiri Ali, pédagogues en herbe...Il y avait Néchadi Ahmed et les cousins Mérouane, humoristes de renom, qui tenaient le service de propagande de notre petite révolution. Il y avait Khomri Abdelkader et Ladjali Mohamed qui étaient loin d'être des intimes de Mahmoud Abbés El Akkad en matière de compétence en langue arabe, et à qui cheikh Bayou demanda un jour : Décrivez moi le salon de votre maison ! La réponse coordonnée et unanime - telle une critique pertinente d'un livre d'arabe confectionné par des martiens- tomba comme un couperet : Y a cheikh on n’a pas de salon à la maison, on mange, on dort et on prend notre café à la même place. La douceur pédagogique avec laquelle Cheikh Bayou répondit à ces impertinents n'avait d'égale que la paternelle caresse- servie par de grandes mains généreuses- qu'il imprima sur leurs joues imberbes. Monsieur Gémertini, directeur de l’école, était à 7 h30 devant la porte d'entrée pour casser sans distinction du fellaga et du colonialiste, de bon matin, parmi ceux qui osaient venir en classe sans tablier et sans cravate et ses mains étaient aussi généreuses que celles de cheikh Bayou.

    Si vous avez un problème de billet d'entrée en classe, adressez vous directement à Khomri Abdelkader : le tarif était cher mais le travail était excellent. Abdelkader était capable de confectionner dix billets d'entrée consécutifs, sans qu'aucun billet ne ressemble à un autre. On retrouvait également pèle mêle dans les classes de Lubrano et Nunzi : Oukaci Mohamed, Lamri Mohamed, Kahal Aissa, Bensmail Khaled, Merzougui Bouzid, Kouadria Slimane, Ouachène Aissa, Benmessaoud Mohamed. Nous jouions régulièrement au ballon, nous avions deux stades : Le stade Dalbîez et le stade situé sur la route de la zaouïa entre les résidences des Ferhat et des Souidi. Au stade Dalbiez, le match commençait à 16 heures, à la sortie des classes. Souvent nous nous retrouvons épingles par Nunzi qui venaient vérifier sur place que nous sommes bien rentrés à la maison...Puis le lendemain, en classe, les contrevenants passent directement au tribunal international de la leçon d'histoire Geo non apprise. II y avait nos illustres ainés, qui nous couvaient de leur affection et de leur morale : Dorbadj Mohamed, Mansouri Mohamed, Chikhi Ali qui ont donné leur vie à l'éducation. Parmi eux également Zaiback El Arbi qui a déserté le lycée de Médéa pour aller cultiver un champ de liberté - durant la révolution- sur les hauteurs de Mongorno. Il en était revenu, à l'indépendance» pur comme un diamant. Il a gardé, jusqu'à maintenant, sa noblesse de cœur, sa grande modestie et sa gentillesse légendaire. Il y avait ces personnages illustres, qui faisaient partie de l'air qu'on respirait à Boghari : Ch'mima, Kanina, Chiboukh, Swetah, Belkacem l'aveugle, Benkiar, Toumia. Ils donnaient à Boghari son attrait particulier fait de mystère et d'humour,

    Le mouvement culturel à Boghari n'était pas en reste : Missoumi Ahmed, Yahiaoui Missoum, Yahiaoui Missoum Esseghîr- le Chaban Delmas-de notre administration, Si Aissa Bel Abbés, Abdelkader Farah,.,.

    Le Ksar Supérieur était ce no man's land ou la magnificence le disputait à la luxure. La jeunesse branchée de Boghari, s'y retrouvait, discrètement, aux heures pâles de la nuit pour venir toucher ses droits à l'interdit. « Le balcon de Rahouaja * était le poème du jour...Au lever du jour, la cité interdite fermait ses portes, le sérieux est à nouveau de rigueur. Au delà de ce mur de Berlin de la luxure commençait la ville…

    Lorsque nous étions enfants, Boghari était pour nous une immense maison de bonheur, aux portes ouvertes. Si vous voulez visiter cette maison vous démarrez à la Zaouïa supérieure, celle de Sidi Mouaz Yahiaoui, après avoir fait une provision de bonne humeur chez Missoum Esseghir et de bons préceptes chez El Hadj Missoum son aîné, vous passez chez El Hadj Mohamed- correspondant du journal « Le monde * avant la révolution- qui vous offre un agréable voyage dans son anthologie politique. Vous descendez à la Zaouïa de Cheikh El Missoum, vous passez avant tout chez Ma Ezzohra, La veuve de Sidi Abderrahmane, qui vous donne une petite leçon d'hospitalité, avant que vous n'alliez terminer votre visite chez si Ahmed ou Si Abdelkader, son frère, vous faites une petite provision de poésie chez l'un et de grammaire arabe chez l'autre, et vous continuez votre descente,,, Un couscous chez Abbacci Benaissa ou chez Souidi Abdelkrim : Le choix est difficile !...Surtout si Ammi Lamri Ali ou Moussa Ferhat vous aperçoivent de loin. Sur votre chemin, Khomri Abdelkader risque également de vous intercepter pour réclamer le versement de la G50 concernant le dernier billet d'entrée qu'il vous a confectionné. Avant de terminer votre flânerie, vous rencontrerez certainement en cours de route un Dendani ou un Zaiback sans oublier Ammi Lazhar Mahmoud qui vous attend pour le samedi soir. Vous profiterez de l'occasion pour aller écouter la dernière blague chez les Mérouane ou pour aller acheter du lait chez les Lazhar, En ville et au quartier Rambault, vous passez chez les Messaouden, les Derrag, Les Benzerga, Les Cadi, Les Heneb, Les Nebih, sans oublier, bien sur, les Ferhat et les Draouci, Après un passage devant la maison des Mouhoubi, vous tournez à gauche pour saluer les Bayou et dire un petit bonjour aux Zoubiri. Dans la maison mitoyenne, vous montez les escaliers pour vous retrouver dans la maison de style mauresque de la dernière princesse Ottomane - El Hadja Zoubida, la veuve de Abdelkader Kayass- ou vous goutterez un couscous qui est une excellente synthèse entre le smid médeen et le dTian bogharien et qui n'a d'égal que le couscous de la femme du cadi Bouchenafa, qui vous attend justement pour le repas du soir.

    Boghari de mon enfance, extravagante princesse qui a semé l’amour, le savoir faire et le savoir être à profusion, mais qui subit actuellement les vicissitudes du temps et l'insulte des hommes, retrouverais tu ta splendeur d'antan ?

    Ahmed Bettahar

    Boghari s'appelle désormais Ksar-El-Boukhari, elle est victime de l’exode rural, elle a perdu ses titres de noblesse et porte difficilement le nom qu'on lui a donné.

     


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  • BOGHARI extrait de l'annuaire général de l'Algérie (1880)

    Arrondissement de Médéa.

    Commune de plein exercice. — Annexe : partie du douar Ouled-Hamza (rive droite du Chélif, avec 4.431 hectares).

    Boghari en 18801,705 habitants, Territoire : 5,487 hectares.
    Boghari, qui comprend le village indigène de Ksar-El-Boghari, chef-lieu du district, siège de la justice de paix, gendarmerie, situé sur la route de Laghouat, a 76 km de Médéa, et à 178 km d’Alger. Centre de commerce important, point de trafic et d’échange des marchandises du Tell avec le Sud. Marché le lundi; un des marchés les plus importants de la province d’Alger, Il s’y fait pour des millions d’affaires en laines, bestiaux et grains.
    Une maison française importante de M. Romanette, y fait un chiffre considérable d’affaires en laines, bestiaux et grains. Elle participe beaucoup au développement du pays,
    Boghari s’est créé de lui-même, et contrairement aux autres communes de l’Algérie, l’autorité supérieure ne s’est jamais préoccupé de ses besoins.

    Maire                   : Ribet.
    Adjoint                : Goulet.
    Conseillers          : Hugonnard, Petin, Etienne, Champagnol, Mila, Sadia, Daoud ben Mohamed et Hadj ben Salam ben Yacoub (adjoint Indigène).

    Enregistrement    : Mars,
    Garde-forestier    : Laubadère.
    Juge de paix         : Patrimonio.
    Huissier               : Cailloux Edouard, Perdinauid.
    Notaire                : Petin.
    Médecin               : Festy, docteur au 2ème bataillon d’Afrique.
    Instituteur            : Gaget.
    Receveur des postes et télégraphes : Durand Laporte, résidant à. Boghar.
    Bains publics       : Yaya ben Bali.
    Aubergistes          : Champagnol, Boyat et Célestin.
    Boucher               : Mcrzoug
    Boulangers          : Sicard, Boyat et Celestin.
    Bourrelier            : Laval
    Cafetiers              : Champagnol, Boyat, Célestin, Sicaud, Vatin, Vve Poncellet et Blanc.
    Chaux et briques (fabricant de) : Demonech François.
    Crieur et afficheur : Boulac.
    Epiciers               : Blanc, Boyat bet Célestin..
    Charron               : Ribet.
    Grains marchands de) : Zenmati, Omar ben Brahim, Daoud ben Abdallah et Miquel.
    Maréchaux-ferrants : Thomas et Delor.
    Menuisiers           : Ribet et Argenton.
    Négociants           : Romanette et Hugonnard.

     

     

     

    Le charron utilise le bois et le fer pour construire et réparer des véhicules attelés. Le cœur de son métier est sa maîtrise de la roue


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  • A Monsieur JULES CARDE   Gouverneur Général de l'Algérie

    En souvenir de sa première visite à  la municipalité de BOGHARI

    Ces pages Sont respectueusement dédiées.

     

    Le voyageur qui, de passage à Boghari, y aperçoit ses rues populeuses et y contemple, échelonnés sur la grand'route, les magnifiques édifices qui la bordent vers l'Ouest : la Mairie, la Salle des Fêtes, l'Eglise – que signalent au dehors des embellissements tout récents – la nouvelle Poste et enfin le superbe Groupe Scolaire, ce voyageur, en présence de la vie intense et des facilités d'achats et de déplacement qui l'enveloppent de toutes parts, s'imaginerait difficilement ce qu'était il y a environ un demi siècle cette agglomération aujourd'hui en plein développement et forte déjà de près de cinq mille âmes.

    Et cependant quelle transformation! 

    En 1864 – l'une des premières sur lesquelles il soit encore possible d'évoquer les souvenirs de témoins oculaires, - un profond ravin coupait en deux, de la Zaouia jusqu'au Chélif, l'emplacement actuel de la ville basse à l'endroit précis où se trouve aujourd'hui la mairie. Pour éviter ce ravin, la route d'Alger-Laghouat devait, à l'entrée de Boghari, s'infléchir vers la gauche et emprunter le tracé qui constitue de nos jours l'embranchement de la Commune Mixte et qui s'élevant rapidement permettait de franchir sur un pont de bois, là ou fut construite plus tard l'usine électrique, le lit du torrent beaucoup moins large à cet endroit. Ce détour n'était guère considérable et, après avoir longé l'abreuvoir, les diligences rejoignaient notre "Grand'Route" à deux pas du caravansérail, c'est-à-dire en face du Groupe Scolaire actuel. A l'usage des piétons et pour leur permettre de couper au court, une étroite passerelle avait été jetée sur le ravin plus bas que le pont, là où la rue qui descend de la Grand'Place rejoint les docks de M. Achilie Coulet.

    Quelques années plus tard, -vers 1875- un premier pont en pierres permit de traverser la localité en ligne droite sans souci des accidents de terrain. D'ouverture insuffisante (2 mètres), ce pont fit place, vers 1888, à une construction plus en rapport avec l'énorme débit du torrent. En 1902, le ravin fut comblé et remplacé par une canalisation souterraine considérable. C'est alors que, devenu inutile, le deuxième pont disparut à son tour sous le masque des matériaux qui lui donnent désormais l'apparence d'un remblai. 

    Il n'y avait guère plus d'habitations alors à Boghari, - nous parlons de la ville basse – qu'il n'y en a maintenant au point d'arrêt des autocars à Chahbounia, avec cette différence qu'au lieu d'être regroupées, elles étaient dispersées. Sans le Ksar (ville haute et agglomération indigène déjà ancienne située à l'écart de la grand'route) et la proximité de Boghar (occupé très tôt – vers 1840 – comme poste militaire), on se serait cru dans une halte en plein désert.  

    Qu'etait-ce en effet que Boghari en 1864? 

    Au centre, la Gendarmerie (construite par l'Armée une vingtaine d'année auparavant) :au Nord-Est, de part et d'autre de la "Cour des Miracles", une double rangée d'habitations parallèles[Celle du fond est de date postérieure] que le temps n'a  épargnées qu'en partie et que le propriétaire, Michel Bordj, a cédées, vers 1890, à M. l'Abbé Impens, au profit des œuvres paroissiales; au Nord, les immeubles de la Commune Mixte (alors propriété de M. Romanette qui y faisait le commerce de laines), ainsi que l'hôtel (café maure actuel) et le foundouk y attenant; un peu plus bas dans l'angle de la route, une petite auberge[L'immeuble, bien que transformé, existe toujours et appartient à M. Saurel.] à l'embranchement de Boghar, au sud du ravin, un bâtiment en rez-de-chaussée[Devenu depuis l'Hôtel Atlantide] servant d'entrepôt aux marchandises avant leur répartition sur place et dans le Sud; en face, quatre pièces sans étage (elles ont été surélevées en 1880) occupées jadis par deux cantonniers et leur famille, de nos jours par le Service de Ponts et Chaussées; faisant pendant, là où s'élève aujourd'hui la boucherie Cohen, une construction en bois abritant un commerce d'épicerie et un débit de boissons; enfin plus bas vers Djelfa, de part et d'autre de la route, les derniers édifices de Boghari : à droite le caravansérail [La grille d'entrée se trouvait en contrebas de la route perpendiculaire à celle-ci. C'est l'immédiatement à droite de cette entrée, dans le bâtiment du caravansérail que, pendant seize ans, se célébra le culte catholique, depuis la fondation de la paroisse, en 1876 jusqu'à la construction de l'église actuelle, vers 1882] bâti par le Génie en 1848 et démoli vers 1912 pour faire place au Groupe Scolaire; à gauche, une maison d'habitation et de commerce appartenant à M. Pergaud.

    C'est tout. 

    Ni école, ni mairie, ni chemin de fer, ni poste, ni télégraphe, ni chapelle, ni cimetière, mais en revanche, des chacals et des hyènes dont le cri nocturne enveloppait Boghari comme une atmosphère sauvage. Pour assister à la messe, il fallait monter à Boghar; de même pour confier une lettre à la poste; le régime militaire était toujours de rigueur, si  bien qu'en droit comme en fait, Boghari relevait de Boghar. Cette situation se prolongea jusque vers 1870.

    Les premières maisons qui surgirent après celles que nous avons énumérées plus haut, furent construites dans un but commercial en bordure du marché (la Grand'Place actuelle).

    A cette période des débuts, les communications étaient fort malaisées. Vers Boghar, les deux rives du Chélif n'étaient reliées que par une passerelle en bois [Emportée à différentes reprises par les crues du Chélif, cette passerelle fut remplacée plus tard par deux ponts métalliques, successifs qu'à vingt ans de distance, la ruée des eaux emporta à leur tour. Le dernier s'est écroulé le soir du 16 janvier 1931. Il sera remplacé incessamment par une magnifique construction en béton armé de 75 mètres de longueur sur 8 mètres de largeur utile dont deux trottoirs d'un mètre pour piétons.] et un gué artificiel ménagé au moyen de gros blocs de maçonnerie à un endroit qui coïncide partiellement avec le pont provisoire construit par le Génie en mars 1931. C'est-à-dire qu'à certains jours les communications étaient coupées, du moins pour les lourds véhicules et qu'il fallait pour passer d'une rive à l'autre attendre que les eaux eussent baissé. Vers le Nord comme vers le Sud, une simple piste (aménagée par le Génie en 1856); pas de ponts et pour comble de malheur aux environs de Bougzoul, des marécages. A la saison des pluies, les marchandises mettaient un mois d'Alger à Boghari. La piste ne fut transformée en route nationale qu'aux alentours de 1867, l'année terrible du choléra et de la famine. C'est alors que M. l'Abbé Impens, Curé de Boghar, se distingue en parcourant à cheval toute la région et en prodiguant à des centaines de mourants, (notamment parmi les travailleurs de la route échelonnés de Boghari au Mont Gorno), ses soins matériels et religieux.

    Sait-on qu'à cette époque et pendant de nombreuses années encore, - jusqu'à l'arrivée du chemin de fer en 1911 – le seul voyage de Boghari à Berrouaghia prenait en diligence sept heures entières?[Le courrier du soir quittait Boghari à 9 heures pour arriver à Berrouaghia à 4 heures du matin. Les voyageurs qui continuaient jusqu'à Alger n'étaient rendus à destinations qu'à 6 heures du soir! ] Cette difficulté rendait très onéreuses et parfois impossibles, les relations commerciales avec le Nord. C'est ainsi qu'aux bonnes années, les indigènes ne parvenaient pas à écouler leur production agricole, les prix de transport étant prohibitifs. On vendait sur place pour satisfaire aux besoins locaux; rien de plus[Des témoins se rappellent avoir vu céder le double décalitre d'orge à 18 et même 17 sous].

    Quel changement à l'heure actuelle! Quels progrès dans tous les domaines, grâce surtout au chemin de fer! Par ce seul fait, Boghari est devenu plus que jamais la "Porte du Sud" (Boghar en est le balcon). Que de magasins ouverts depuis vingt ans! Aujourd'hui, à peu près tout Boghari est commerçant.

    Comme en témoignent les derniers recensements, sa population s'est amplifiée aussi rapidement que son commerce. Qu'on en juge par le tableau suivant qui révèle de 1926 à 1931, un accroissement global supérieur à 14% :  

    Année 

    Européens 

    Indigènes 

    Total 

    1926 

    843 

    3343 

    4180 

    1931 

    916 

    6872 

    4788 

    % d'accroiss 

    8.6 

    15.8 

    14.5 

     Il serait tout aussi intéressant de comparer les chiffres des naissances qui, de 15 en 1875 (ville basse et ville haute réunies), et 138 en 1910 atteignent 196 en 1915.

     

    Ce mouvement ne tardera pas à s'amplifier encore par la suite de la création à bref délai d'un nouveau camp tout proche de Boghari vers le Sud. Si tout va bien, quel nouveau contraste nous réserve 1940 avec les débuts héroïques qu'ont connus il y a 65 ans, les premières familles françaises qui fondèrent Boghari : les Coulet, les Domenech, les Etienne, les Francastel, les Pegeaud, les Ribet, les Romanette! Le fonctionnement de la nouvelle  Poste et de l'Hôpital Auxiliaire que viendra inaugurer au début de février, Monsieur le Gouverneur Général, la construction d'un Monument en souvenir des Morts de la Grande Guerre, l'érection d'une splendide Ecole indigène en plein centre de la localité, la fondation d'une Bibliothèque publique et peut-être d'un Ouvroir, la création d'un parc municipal, l'aménagement de la Grand'Place, etc.… etc.… toutes réalités imminentes qui sont dans le désirs de tous, et que l'historien de Boghari groupera un  jour comme un faisceau de gloire en évoquant la gestion de M. le Maire Bachiéra.


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  • Par Abderrahmane Missoumi

    C'est la convergence de trois bouleversements - démographique, politique et économique - qui a provoqué le naufrage rythmé d'une commune fondée en 1856, pourtant immortalisée par des écrivains européens de renom.

     Un regard historique lapidaire est incontournable pour comprendre la genèse du déclin de la cité millénaire. Pour des raisons essentiellement stratégiques et accessoirement commerciales, Napoléon III signa, en 1856, la création du village de Boghari, au pied de l'ancien Ksar fondé au XI° siècle par Bayehmed, qui égrenait sa longue histoire, ses légendes, ses caravanes, ses ruelles pittoresques et voutées, ses fontaines et son artisanat éteint.

     Boghari était vouée, dès sa conception et sa construction, à un ordre géométrique qui exprimait directement l'ordre social colonial imposé: une ségrégation spatiale par rapport aux quartiers "nègres" ou indigents formés à l'époque par la Zaouïa de Cheikh Mohammed El Moussoum et du Ksar antique. Des sites immortalisés par des  écrivains de renom, tels Guy de Maupassant, Eugène Fromentin, Freigneau ou encore le sociologue Emile Dermenghem qui ont décrit, chacun dans son domaine, ces espaces musulmans, l'originalité de la vie qui s'y déroule. A l'époque, la Zaouïa fondée en 1865 par El Moussoum fut un rare foyer de la culture islamique et connut ses moments de gloire dans toute la province d'Alger. Beaucoup d'élèves acquirent une renommée maghrébine grâce à leurs études dans cette Zaouïa,  dont les plus belles leçons furent la tolérance et un Islam printanier. Malgré les évènements qui plongèrent la population musulmane dans la pauvreté; une certaine activité artisanale permit à la cité de survivre. On s'adonnait à la fabrication des burnous, cachabias, tapis, et haïks.

     De 1942 à 1943, le colonialisme allait ouvrir deux camps pour prisonniers de guerre allemands, autrichiens et italiens ramenés de Libye. Le village comprenait alors 7 000 habitants dont 882 Européens et plusieurs ethnies qu'il serait fastidieux de développer dans le cadre de cet article sommairement esquissé. Ruinées par la guerre, les populations rurales environnantes sont venues s'entasser aux portes du village naissant, et improviser quelque 600 gourbis recensés dans les années 50. L'exode rural s'est imposé à Ksar El Boukhari depuis les premières années de l'occupation coloniale. La guerre, la famine, les politiques de dépossession ont entrainé inévitablement un afflux massif des paysans des 13 douars vers le chef-lieu communal. Ce sont, désormais, plus de 73% de villageois qui vivent, aujourd'hui, à Ksar El Boukhari. Et il est impossible pour l'Etat d'opérer le flux inverse. L'hémorragie s'est d'ailleurs exacerbée durant les années 90 où plus de 20 000 ruraux ont quitté hameaux et douars. Un étrange retour de l'histoire.

     Aujourd'hui, Ksar El Boukhari compte plus de 80 000 habitants enfermés dans un entonnoir cadastral de 54 km² et au lieu d'être atteint en 2014, le taux de 73% de population urbaine l'a été dès 1980. En amont, une demande sociale aux limites de l'ingérabilité, notamment logement, emploi et l'eau potable. Les crédits décentralisés (PSD) et autres PCD inscrits sur des nomenclatures figées, standardisées et ineptes n'ont pas eu d'impact en termes de croissance économique. Le tribalisme le plus grégaire et les clans territoriaux sont devenus endogènes aux processus électoraux, le "hold-up" récurrent des urnes et la périphérisation  de l'élite autochtone ont renforcé la vulnérabilité déjà accusée de la contrée. Depuis les années 1970, elle n'a produit aucune plusvalue quand ce n'est pas la "mendicité publique" à travers les subventions d'équilibre et autres péréquations qui masquaient, en fait les carences, et la médiocratie au niveau local. 

     Les vieilles familles citadines ont fui leur ville, transformée en un espace de calvaire, de dénuement, voire de criminalité. C'est la triste illustration de la campagne dans la ville. Une véritable entreprise de démolition du civisme, des urbanités, de la culture raffinée, et de l'esthétique. Sur les décombres des mandats successifs se dégage un sentiment partagé: celui d'avoir été floué par les années. C'est l'image d'une population condamnée à la malvie, harassée par les chaînes éhontées pour une baguette, supportant tous les problèmes basiques sans même l'espoir qui soutient de voir un jour son martyre  diminuer. Le chômage effarant, l'absence de perspectives, d'un travail de proximité social, d'aide à la réalisation de projets collectifs ou individuels des jeunes, sont autant de voies que la délinquance a systématiquement exploitées pour déboucher sur les proportions que l'on reconnaît présentement à celle-ci. Aux "salariés" classiques de l'économie informelle se greffent chaque jour des contingents d'expurgés scolaires dont la société héritait  sans trop savoir quoi en faire. Misère et délinquance progressent d'un même pas. Avec plus de 10 000 postulants au logement social, la demande est devenue insoutenable, alors que l'alimentation en eau potable a atteint l'indice du "stress" de Faulkmann. Les pertes sur réseau sont estimées à 38%. Ce qui équivaut au volume régularisé d'un barrage moyen de 73 m³/an. Des réseaux informels se sont substitués à l'ADE et les "dealers" du tracteur vont jusqu'à exiger 10 à 20 fois  le prix du barème officiel. Le Ksar  antique, un patrimoine national qui n'a de comparable que la Casbah d'Alger, a été transformé en un vulgaire tremplin pour ruraux à l'affut d'un logement. Les autochtones payent le prix de leur démission...

     Abderrahmane Missoumi

    Ksar El Boukhari : une ville malade de l'exode de ses élus  par Abderrahmane Missoumi


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  • KSAR-EL-BOUKHARI
    Le Vieux Ksar se trouve dans la localité de Ksar-El- Boukhari, ville située à 64 km au sud du chef-lieu de wilaya. Il a été édifié par Mohamed El-Boukhari qui a donné son nom à la ville. Sa construction remonte à l’époque de la création de la ville de Achir Sanhadjite, soit au début du Xe siècle. Le Vieux Ksar se distingue par sa position stratégique qui réunit toutes les conditions exigées pour l’édification de ksour ou de villes à l’époque, en raison des nombreux conflits entre les différentes tribus durant ladite période de l’histoire. C’est pour cela que Mohamed El-Boukhari avait tenu à ce que le Ksar soit facilement défendable et protégé pour préserver la sécurité des habitants. Il doit également disposer de toutes les commodités sociales et économiques nécessaires à la vie quotidienne des populations. C’est dans cette optique qu’a été choisi l’emplacement du Vieux Ksar, à un endroit assez élevé, qui rend sa défense aisée contre les attaques extérieures par des adversaires qui n’attendent que cela. Il dispose également de sources d’eau potable abondante qui sont à l’origine d’une production agricole largement suffisante. Parmi ces productions, nous citerons particulièrement les céréales dont le blé et l’orge. Ses riverains s’adonnaient aussi à d’autres métiers, notamment l’artisanat en plus de l’élevage qui était source de commerce et d’activités économiques fructueuses dans le Ksar. Ces activités lui ont permis d’atteindre une autosuffisance complète vis-à-vis de l’extérieur, garantissant ainsi à ses populations la sécurité et la stabilité. Le Ksar était dans le temps un important carrefour où se rencontraient les commerçants venus de toutes parts, en raison de sa situation à un point de rencontre entre le Nord et le Sud. Cet avantage de taille attirait les gens de toutes les régions avoisinantes et même lointaines. Un grand nombre a fini par s’y fixer définitivement à cause des facilités qu’ils y trouvaient pour vivre tranquillement et aisément. Tel est le cas du commerçant marocain Si Ahmed qui a construit la première mosquée. Dans le même contexte, beaucoup de commerçants du M’zab s’y sont également installés pour les mêmes raisons. Les juifs, à leur tour, ont vécu dans le Ksar et y ont édifié une synagogue qui existe d’ailleurs jusqu’à présent. Ces populations venues de toutes parts ont permis, en plus des transactions commerciales qu’ils réalisaient, de faire un brassage extrêmement riche en termes de coutumes et de traditions. Ce qui a fait du Ksar un forum regroupant des cultures et des peuples de différentes origines, faisant de cette ville une cité durablement riche et diversifiée. Durant l’époque ottomane, les Turcs se sont installés dans le Vieux Ksar et ils y ont édifié de nombreuses résidences dont le nombre dépasse 40 maisons. De ce fait, le style urbanistique arabo-turc a prévalu dans une partie de son bâti urbain, en plus des touches andalouses, alors qu’auparavant le mode architectural pratiqué s’apparentait beaucoup plus aux ksour sahraouis qui étaient construits de manière à répondre aux exigences d’une région considérée comme étant la porte du grand Sud. Parmi les personnalités religieuses qui ont émergé dans le Vieux Ksar, le vénéré cheïkh et grand savant Mohamed El-Mansour, mokadem de la confrérie El-Chadlia qui avait connu une large audience en Afrique du Nord, sous la houlette de ce respecté cheïkh qui avait de nombreux adeptes. Après l’occupation française de Médéa en 1840, le Vieux Ksar s’est ouvert à la réalisation d’infrastructures administratives et autres constructions de style européen pour logé les colons. Sur leur lancée, les autorités coloniales ont saisi les terres et les biens des populations locales pour les attribuer aux colons qui y ont introduit de nombreuses modifications. Mais ces changements n’ont pas réussi à effacer totalement les traces et les caractéristiques de l’architecture originale, faisant partie de l’histoire ancestrale du Vieux Ksar qui a également pu préserver la dénomination de ses anciennes ruelles, à l’exemple de Znikat El Koussourya, fief du mouvement national depuis 1840. L’origine séculaire du Vieux Ksar et la diversité ethnique des populations qui l’ont habité lui ont permis de brasser une multitudes de styles urbanistiques qui lui donnent une architecture propre, caractérisée par des créations merveilleuses que l’on retrouve notamment dans les portes de maisons sous forme de voûtes, les fenêtres qui sont très bien faites, ainsi que les belles toitures en tuiles rouges d’origine arabe. Les balcons de maisons qui reçoivent les rayons de soleil donnent sur des ruelles tortueuses dont la sinuosité adoucit l’air dans les impasses intérieures. Le Vieux Ksar est avant tout un exemple vivant de l’architecture ancienne chez les différents peuples qui ont habité la région. Chacun d’eux a apporté sa contribution pour réaliser un brassage harmonieux de cultures et d’arts dont le secret se trouve justement dans la diversité et le mariage entre les différentes touches créatrices. Il constitue de nos jours, un joyau d’une grande importance pour la ville de Ksar-El-Boukhari particulièrement et pour la wilaya de Médéa de manière générale. Les repères historiques ayant une grande valeur culturelle et touristique se retrouvent partout dans cette fascinante wilaya.
    Hamid Sahnoun - La Nouvelle République


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