• Boghari, autrefois... ...aujourd'hui (1932) par E. Soudron

    A Monsieur JULES CARDE   Gouverneur Général de l'Algérie

    En souvenir de sa première visite à  la municipalité de BOGHARI

    Ces pages Sont respectueusement dédiées.

     

    Le voyageur qui, de passage à Boghari, y aperçoit ses rues populeuses et y contemple, échelonnés sur la grand'route, les magnifiques édifices qui la bordent vers l'Ouest : la Mairie, la Salle des Fêtes, l'Eglise – que signalent au dehors des embellissements tout récents – la nouvelle Poste et enfin le superbe Groupe Scolaire, ce voyageur, en présence de la vie intense et des facilités d'achats et de déplacement qui l'enveloppent de toutes parts, s'imaginerait difficilement ce qu'était il y a environ un demi siècle cette agglomération aujourd'hui en plein développement et forte déjà de près de cinq mille âmes.

    Et cependant quelle transformation! 

    En 1864 – l'une des premières sur lesquelles il soit encore possible d'évoquer les souvenirs de témoins oculaires, - un profond ravin coupait en deux, de la Zaouia jusqu'au Chélif, l'emplacement actuel de la ville basse à l'endroit précis où se trouve aujourd'hui la mairie. Pour éviter ce ravin, la route d'Alger-Laghouat devait, à l'entrée de Boghari, s'infléchir vers la gauche et emprunter le tracé qui constitue de nos jours l'embranchement de la Commune Mixte et qui s'élevant rapidement permettait de franchir sur un pont de bois, là ou fut construite plus tard l'usine électrique, le lit du torrent beaucoup moins large à cet endroit. Ce détour n'était guère considérable et, après avoir longé l'abreuvoir, les diligences rejoignaient notre "Grand'Route" à deux pas du caravansérail, c'est-à-dire en face du Groupe Scolaire actuel. A l'usage des piétons et pour leur permettre de couper au court, une étroite passerelle avait été jetée sur le ravin plus bas que le pont, là où la rue qui descend de la Grand'Place rejoint les docks de M. Achilie Coulet.

    Quelques années plus tard, -vers 1875- un premier pont en pierres permit de traverser la localité en ligne droite sans souci des accidents de terrain. D'ouverture insuffisante (2 mètres), ce pont fit place, vers 1888, à une construction plus en rapport avec l'énorme débit du torrent. En 1902, le ravin fut comblé et remplacé par une canalisation souterraine considérable. C'est alors que, devenu inutile, le deuxième pont disparut à son tour sous le masque des matériaux qui lui donnent désormais l'apparence d'un remblai. 

    Il n'y avait guère plus d'habitations alors à Boghari, - nous parlons de la ville basse – qu'il n'y en a maintenant au point d'arrêt des autocars à Chahbounia, avec cette différence qu'au lieu d'être regroupées, elles étaient dispersées. Sans le Ksar (ville haute et agglomération indigène déjà ancienne située à l'écart de la grand'route) et la proximité de Boghar (occupé très tôt – vers 1840 – comme poste militaire), on se serait cru dans une halte en plein désert.  

    Qu'etait-ce en effet que Boghari en 1864? 

    Au centre, la Gendarmerie (construite par l'Armée une vingtaine d'année auparavant) :au Nord-Est, de part et d'autre de la "Cour des Miracles", une double rangée d'habitations parallèles[Celle du fond est de date postérieure] que le temps n'a  épargnées qu'en partie et que le propriétaire, Michel Bordj, a cédées, vers 1890, à M. l'Abbé Impens, au profit des œuvres paroissiales; au Nord, les immeubles de la Commune Mixte (alors propriété de M. Romanette qui y faisait le commerce de laines), ainsi que l'hôtel (café maure actuel) et le foundouk y attenant; un peu plus bas dans l'angle de la route, une petite auberge[L'immeuble, bien que transformé, existe toujours et appartient à M. Saurel.] à l'embranchement de Boghar, au sud du ravin, un bâtiment en rez-de-chaussée[Devenu depuis l'Hôtel Atlantide] servant d'entrepôt aux marchandises avant leur répartition sur place et dans le Sud; en face, quatre pièces sans étage (elles ont été surélevées en 1880) occupées jadis par deux cantonniers et leur famille, de nos jours par le Service de Ponts et Chaussées; faisant pendant, là où s'élève aujourd'hui la boucherie Cohen, une construction en bois abritant un commerce d'épicerie et un débit de boissons; enfin plus bas vers Djelfa, de part et d'autre de la route, les derniers édifices de Boghari : à droite le caravansérail [La grille d'entrée se trouvait en contrebas de la route perpendiculaire à celle-ci. C'est l'immédiatement à droite de cette entrée, dans le bâtiment du caravansérail que, pendant seize ans, se célébra le culte catholique, depuis la fondation de la paroisse, en 1876 jusqu'à la construction de l'église actuelle, vers 1882] bâti par le Génie en 1848 et démoli vers 1912 pour faire place au Groupe Scolaire; à gauche, une maison d'habitation et de commerce appartenant à M. Pergaud.

    C'est tout. 

    Ni école, ni mairie, ni chemin de fer, ni poste, ni télégraphe, ni chapelle, ni cimetière, mais en revanche, des chacals et des hyènes dont le cri nocturne enveloppait Boghari comme une atmosphère sauvage. Pour assister à la messe, il fallait monter à Boghar; de même pour confier une lettre à la poste; le régime militaire était toujours de rigueur, si  bien qu'en droit comme en fait, Boghari relevait de Boghar. Cette situation se prolongea jusque vers 1870.

    Les premières maisons qui surgirent après celles que nous avons énumérées plus haut, furent construites dans un but commercial en bordure du marché (la Grand'Place actuelle).

    A cette période des débuts, les communications étaient fort malaisées. Vers Boghar, les deux rives du Chélif n'étaient reliées que par une passerelle en bois [Emportée à différentes reprises par les crues du Chélif, cette passerelle fut remplacée plus tard par deux ponts métalliques, successifs qu'à vingt ans de distance, la ruée des eaux emporta à leur tour. Le dernier s'est écroulé le soir du 16 janvier 1931. Il sera remplacé incessamment par une magnifique construction en béton armé de 75 mètres de longueur sur 8 mètres de largeur utile dont deux trottoirs d'un mètre pour piétons.] et un gué artificiel ménagé au moyen de gros blocs de maçonnerie à un endroit qui coïncide partiellement avec le pont provisoire construit par le Génie en mars 1931. C'est-à-dire qu'à certains jours les communications étaient coupées, du moins pour les lourds véhicules et qu'il fallait pour passer d'une rive à l'autre attendre que les eaux eussent baissé. Vers le Nord comme vers le Sud, une simple piste (aménagée par le Génie en 1856); pas de ponts et pour comble de malheur aux environs de Bougzoul, des marécages. A la saison des pluies, les marchandises mettaient un mois d'Alger à Boghari. La piste ne fut transformée en route nationale qu'aux alentours de 1867, l'année terrible du choléra et de la famine. C'est alors que M. l'Abbé Impens, Curé de Boghar, se distingue en parcourant à cheval toute la région et en prodiguant à des centaines de mourants, (notamment parmi les travailleurs de la route échelonnés de Boghari au Mont Gorno), ses soins matériels et religieux.

    Sait-on qu'à cette époque et pendant de nombreuses années encore, - jusqu'à l'arrivée du chemin de fer en 1911 – le seul voyage de Boghari à Berrouaghia prenait en diligence sept heures entières?[Le courrier du soir quittait Boghari à 9 heures pour arriver à Berrouaghia à 4 heures du matin. Les voyageurs qui continuaient jusqu'à Alger n'étaient rendus à destinations qu'à 6 heures du soir! ] Cette difficulté rendait très onéreuses et parfois impossibles, les relations commerciales avec le Nord. C'est ainsi qu'aux bonnes années, les indigènes ne parvenaient pas à écouler leur production agricole, les prix de transport étant prohibitifs. On vendait sur place pour satisfaire aux besoins locaux; rien de plus[Des témoins se rappellent avoir vu céder le double décalitre d'orge à 18 et même 17 sous].

    Quel changement à l'heure actuelle! Quels progrès dans tous les domaines, grâce surtout au chemin de fer! Par ce seul fait, Boghari est devenu plus que jamais la "Porte du Sud" (Boghar en est le balcon). Que de magasins ouverts depuis vingt ans! Aujourd'hui, à peu près tout Boghari est commerçant.

    Comme en témoignent les derniers recensements, sa population s'est amplifiée aussi rapidement que son commerce. Qu'on en juge par le tableau suivant qui révèle de 1926 à 1931, un accroissement global supérieur à 14% :  

    Année 

    Européens 

    Indigènes 

    Total 

    1926 

    843 

    3343 

    4180 

    1931 

    916 

    6872 

    4788 

    % d'accroiss 

    8.6 

    15.8 

    14.5 

     Il serait tout aussi intéressant de comparer les chiffres des naissances qui, de 15 en 1875 (ville basse et ville haute réunies), et 138 en 1910 atteignent 196 en 1915.

     

    Ce mouvement ne tardera pas à s'amplifier encore par la suite de la création à bref délai d'un nouveau camp tout proche de Boghari vers le Sud. Si tout va bien, quel nouveau contraste nous réserve 1940 avec les débuts héroïques qu'ont connus il y a 65 ans, les premières familles françaises qui fondèrent Boghari : les Coulet, les Domenech, les Etienne, les Francastel, les Pegeaud, les Ribet, les Romanette! Le fonctionnement de la nouvelle  Poste et de l'Hôpital Auxiliaire que viendra inaugurer au début de février, Monsieur le Gouverneur Général, la construction d'un Monument en souvenir des Morts de la Grande Guerre, l'érection d'une splendide Ecole indigène en plein centre de la localité, la fondation d'une Bibliothèque publique et peut-être d'un Ouvroir, la création d'un parc municipal, l'aménagement de la Grand'Place, etc.… etc.… toutes réalités imminentes qui sont dans le désirs de tous, et que l'historien de Boghari groupera un  jour comme un faisceau de gloire en évoquant la gestion de M. le Maire Bachiéra.

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